Nous avons tous des dilemmes auxquels nous faisons face. Un des miens, récurrent depuis une dizaine d'années, c’est de choisir quand il s’agit d’écrire ou de créer quoique ce soit, de le faire en français ou en anglais. D’une langue à l’autre, je n’ai ni la même voix ni le même ton ou encore le même style. Je vis ça comme un vrai casse-tête mais aussi un entre-deux où j’ai conscience d’avoir depuis longtemps perdu le niveau de français que j’eusse jadis, alors que mon niveau d’anglais ne sera jamais irréprochable, parfaitement impeccable. S’il y avait une paix à faire ou à avoir, j’en serais loin.
Nous sommes donc mi-janvier. J’ai une pile de notes qui s'accumulent depuis le mois de décembre et aucun texte écrit ou publié. Malgré le fait que la quasi-totalité de ces notes soit en français (une nouveauté en soi), il y a ce fichu mot anglais, support de l’idée souveraine que je veux développer ici et qui n’a pas son équivalent exact en français. Je vous présente le mot : “agency”. Il signifie “pouvoir/capacité d’action/d’intervention” et donc, par extrapolation, “pouvoir/capacité de choix”.
C’est un mot important car ce qu’il désigne, nous l’avons tous. Que nous en soyons conscients ou non, que nous l’exercions ou non, chacun de nous, à des degrés et des placements différents, possède un pouvoir et une capacité d’action, de choix, d’intervention. En cela, “Agency” fait aussi écho à notre libre arbitre, à notre responsabilité personnelle quant à nos possibilités d’action (qui comprend l’inaction). Par exemple, la non-assistance à personne en danger est une forme d’inaction qui engage notre responsabilité personnelle et pour laquelle nous pouvons être poursuivis en justice sur le plan pénal ou civil.
Il y a trois volets importants au concept “agency”. Le premier c’est de reconnaître que nous avons plus de choix et de possibilités que nous voulons bien croire ou voir et qu’il nous incombe, à nous et à personne d’autre, de les actionner. Une forme de distanciation, d’observation et de désidentification est requise afin de prendre le recul nécessaire pour nourrir une perception plus juste et un meilleur discernement de ce qui se joue. Cela nous demande une forme de maturité émotionnelle et de nuance. Le cas échéant, un regard extérieur peut nous aider à mieux percevoir. Mais, au bout du compte, il y a toujours une exigence de se regarder en face.
Le deuxième volet, c’est d’admettre que ce qui vient d’être dit est tout aussi vrai pour l’Autre : “chacun a le choix de ou de ne pas”. Nous avons tous une opinion sur ce que devrait faire ou ne pas faire l’Autre, ce qui, selon nous, serait mieux ou pire pour l’Autre. Sauf que l’Autre c’est l’autre, et nous c’est nous. De la même manière que nous avons “agency” sur nos propres choix, l’Autre l’a sur les siens. À nous de le respecter pour l’Autre et de le faire respecter pour soi. J’ai découvert la semaine dernière l’apparemment connu Franck Lopvet qui disait dans une interview: “je fous une paix royale aux gens. Je ne parle pas à qui que ce soit qui ne m’ait pas payé pour cela”.
Le dernier volet, c’est de bien comprendre que le libre arbitre ou la liberté en général s’accompagnent de responsabilités et nos actions de conséquences. Il y a des conséquences à exercer ou non son “agency” et la plupart du temps, nous ne les contrôlons pas.
Ce qui compte (et agirait comme police d’assurance) serait de poser des actes “alignés” et “authentiques”. La question évidente qui s’ensuit devient alors : “Alignés” à quoi, à qui? “Authentiques” à quoi, à qui? À une fausse idée de soi, déformée et à côté? À des valeurs qui ne sont en fait pas vraiment les nôtres? Car encore faudrait-il s’assurer d’y voir clair. “Alignés” à son âme? Encore faudrait-il y être, avec son âme, en présence, faire avec elle. Tout ça n’est pas si simple. En tout cas pas autant qu’internet et les livres de développement personnel veulent nous faire croire.
Je pense que ce qui compte, au-delà de l’action, quelle qu’elle soit, c’est la manière de faire.
Notre manière de faire importe. Elle se doit d’être cohérente avec ce qui est vrai au fond de nous, avec notre mouvement intérieur du moment. Elle demande justesse, non pas par rapport à des injonctions extérieures ou des habitudes, mais au contraire, une sensation, une intériorité ancrée dans un espace sensible où le ressenti d’une intégrité ne se négocie pas.
Nos actions en disent long, elles en disent plus que tout le reste. Là où nous investissons notre temps, notre énergie, notre argent, mais aussi les décisions que nous prenons, nous révèlent plus que toutes nos justifications. Et par delà nos actions, il y a notre manière de poser nos actes. Elle nous dévoile. Elle nous expose. Plus nulle part où se cacher.
Regardez autour de vous, cela fait bientôt quatre ans que le rideau se lève en continu, montrant, mettant à nu tout et tous.
Il n’y a pas d’excuses, il n'y a que des choix.
Merci d’avoir pris le temps de lire.
Mahé